Que faire du stock de la dette publique mondiale

Dans son dernier communiqué, la Fed vient d’abandonner l’expression « mesures accommodantes » pour confirmer la poursuite du début de son désengagement, devançant la BCE dont le rythme est nettement moins soutenu. À l’opposé, la Banque du Japon poursuit sans donner signes de faiblesse ses achats massifs de la dette publique financés par une création monétaire soutenue, sans que cela suscite une particulière émotion. Cela peut-il s’expliquer par des situations nationales ou régionales différentes ?

Afin de stabiliser le système financier, la Fed et la BCE ont gonflé massivement la taille de leurs bilans durant ces dix dernières années, le niveau atteint rappelant l’après-guerre, lorsqu’il fallut financer l’effort de reconstruction. Il est désormais question, avec beaucoup d’atermoiements, d’y mettre un coup d’arrêt, la priorité étant donnée à la hausse des taux directeurs, l’autre volet de leur politique.

Il est certes prévu d’engager le processus de réduction des bilans. Mais cela va se limiter dans un premier temps à stabiliser leur volume, les titres de dette détenus arrivés à maturité étant remplacés. En net, le volume du stock restera inchangé. Pour la suite, rien n’est prévu et encore moins annoncé, il n’y a aucune visibilité. Le stock de la dette publique est appelé à changer de mains dans des circonstances qui ne sont pas établies, rendant son sort incertain.

Quel objectif et quel délai la Fed et la BCE pourraient-elles se donner afin de s’en délester ? Les banques centrales ayant par leur politique largement modifié le fonctionnement du système financier, vont-elles si facilement que cela parvenir à redonner à leurs bilans la taille d’avant, ou devront-elles se résoudre à une réduction partielle étalée dans le temps pour ne pas produire de catastrophe ? Comment le marché va-t-il réagir à cette offre abondante et comment les taux vont-ils se comporter ? Au bout du compte, la prudence qui s’est imposée pour la relève des taux directeurs des banques centrales s’imposera-t-elle à nouveau lorsque le second volet du désengagement sera abordé ?

En fin de compte, la politique suivie par la Banque du Japon tranche, n’indiquerait-elle pas la voie à suivre ? Celle-ci poursuit ses acquisitions massives illimitées pour l’essentiel de dette publique, dans l’espoir resté vain jusqu’à maintenant de faire revenir l’inflation à son objectif de 2% par valeur inférieure, le credo des banques centrales. La dette du pays ayant en 2016 dépassé 250% du PIB, la banque du Japon détenait à la même date 36,7% de ses titres, les banques commerciales 24,7% et les assureurs nationaux 21,8%. Le système fonctionne en circuit fermé et le déficit budgétaire est financé année après année.

L’exemple est à méditer mais suppose de briser le tabou du financement de la dette par la création monétaire. C’est en tout cas à ce prix que la fiction comptable de l’absence de risque des titres souverains, un des piliers du système financier, pourra devenir réalité. Pour ne pas reconnaître qu’il est devenu globalement insoutenable, l’endettement pourrait être réduit par le biais d’un mécanisme faisant appel aux bons soins des banques centrales. À condition de modifier également le mécanisme en faisant dépendre la croissance économique, afin d’en finir une fois les compteurs remis à zéro. À moins de se résoudre alternativement à tailler dans le vif du sujet en organisant un gigantesque défaut partiel sur une partie de la dette afin qu’elle ne dépasse pas un pourcentage à déterminer du PIB.

Les deux options sont aujourd’hui aussi peu vraisemblables, mais le propre des fuites en avant est d’avoir toujours une fin. Et, à tout prendre, la première des deux options, bien qu’également douloureuse, est moins risquée si l’on a comme principal souci d’éviter l’écroulement du capitalisme. Mais quel dirigeant politique se hasardera à la préconiser à ses collègues ? L’exemple de Donald Trump recherchant à résoudre unilatéralement des déséquilibres commerciaux par de fausses bonnes solutions n’est à cet égard pas spécialement encourageant. Celui des dirigeants européens prétendant rendre soutenable des dettes qui ne le sont pas ne l’est pas davantage. On ne l’ignore pas, le déni est une des composantes majeures de la réflexion économique contemporaine officielle ou de ce qui en tient lieu.

5 réponses sur “Que faire du stock de la dette publique mondiale”

  1. Depuis deux décennies, je n’arrête pas d’alerter les économistes sur les effets de frein de l’épargne bancaire. Celle-ci ne circule pas ainsi que l’a confirmé la Banque d’Angleterre dans son bulletin du 1er trimestre 2014 : « Une idée FAUSSE répandue est que les banques agissent simplement comme des intermédiaires, transmettant à des emprunteurs les dépôts que les épargnants leur confient. »

    Comme le Japon figure parmi les plus gros épargnants de la planète, l’endettement de l’Etat est le seul moyen pour ce pays de réguler son économie réelle. Il semble même qu’il ne s’endette pas assez pour doper la croissance et relever le niveau de l’inflation qui en est la conséquence.

    Vu sous cet angle on peut comprendre la hausse inéluctable de la dette publique mondiale.

  2. Une confirmation et un commentaire supplémentaire en amplifiant la gravité des conséquences inéluctables :
    .. »  »  » Dix ans après le début de la crise financière, la Fed (Réserve fédérale) a proposé, mercredi 30 mai 2018 d’assouplir l’une des principales règles qui avaient été adoptées pour empêcher les banques de prendre des risques boursiers trop importants. La Banque centrale américaine veut s’attaquer à la règle Volcker, qui interdit aux banques de détails de faire des paris boursiers pour leur compte avec l’argent des déposants. La nouvelle mouture du texte viendrait « simplifier » la mesure pour la rendre « plus efficace », d’après Jérôme Powell, le nouveau président de la Fed, nommé à ce poste le 5 février 2018 par Donald Trump.
    https://www.wsj.com/articles/fed-floats-changes-to-volcker-rule-on-big-bank-trading-restrictions-1527705603
    La règle Volcker partait d’un bon sentiment : éviter que les contribuables ne paient pour les risques inconsidérés des banquiers. Avant 2008, les banques pouvaient utiliser l’argent de leurs clients – et qui était garanti par l’État – pour boursicoter à leur guise et faire des profits. En cas de perte, l’État intervenait pour rembourser les déposants. C’est ainsi que, durant la crise, les banques ont réussi aux États-Unis (et sur le Vieux Continent) à faire éponger une partie de leur dette par les contribuables.

    Mais l’interdiction édictée par la règle Volcker n’est toutefois pas absolue. Les banques peuvent toujours avoir recours à l’argent des clients, s’il est utilisé à leurs profits ou pour couvrir un pari risqué fait avec les fonds propres de l’établissement. D’où le problème : ces exceptions peuvent entraîner des audits et contrôles à répétition pour établir si les opérations boursières sont faites dans le respect de la règle Volcker. Les banques ont utilisé le prétexte du casse-tête des tracasseries administratives pour contester le bien-fondé de cette mesure. Ainsi, la règle Volcker, érigée en symbole de l’effort de la réforme bancaire d’Obama de 2010 pour protéger les contribuables contre les excès de la finance, n’est entrée en vigueur qu’en 2015 après d’intenses tractations pour en définir précisément le champ d’application. La règle Volcker 2.0, voulue par la Fed, limiterait les contrôles auxquels sont soumises les banques. Ces dernières auraient aussi moins de preuves à fournir pour établir la légitimité d’une opération boursière. C’est donc un assouplissement en bonne et due forme des règles de régulation bancaire qui est proposé par la Fed. Ce n’est pas le premier. Le Congrès a voté, le 22 mai 2018 une annulation partielle de la réforme bancaire 2010. Cette autre victoire pour Wall Street prévoit qu’il n’y aura plus désormais qu’une dizaine de très grandes banques qui seront soumises à l’intégralité des contrôles établis après la crise financière de 2010.
    https://www.nytimes.com/2018/05/22/business/congress-passes-dodd-frank-rollback-for-smaller-banks.html  »  » « 

  3. @Otromeros
    Je ne partage pas ce point de vue qui est le point de vue officiel.
    Les banques ne peuvent pas utiliser les dépôts de la clientèle (cf. BoE Bulletin 1er Tr 2014), mais en cas de faillite (Lehman Brothers, par exemple) les déposants sont chirographaires ce qui signifie qu’ils ne perçoivent rien ou presque.
    Avant qu’il ne soit abrogé en 1999 aux Etats-Unis sous la présidence de Bill Clinton (Démocrate), le Glass-Steagall Act, promulgué en 1933 après le krach de 1929, réglementait déjà la séparation des banques d’affaires et des banques de dépôt. Il aura donc fallu 66 ans pour que le lobby bancaire réussisse à reprendre le pouvoir monétaire total qu’il avait alors perdu.
    Tous les excès lui étant permis depuis, il ne lui aura fallu que 8 ans (1999-2007 affaire des subprimes) pour plonger le monde entier dans le désastre économique et financier d’une ampleur et d’une durée incomparables à celui de 1929.

    1. @Jean Bayard(1/10 à 16h01)
      Merci pour ces précisions qui sont plus que sémantiques même si le résultat pour le gogo est le même…
      En sus je me rends compte que j’ai oublié de fournir le lien de base : http://www.

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